L'innovation Ouverte et la propriété intellectuelle: contradiction ou complémentarité ?

By in
L'innovation Ouverte et la propriété intellectuelle: contradiction ou complémentarité ?

L’innovation ouverte et les DPI : contradiction ou complémentarité ?

L’innovation ouverte et la gestion des droits de propriété intellectuelle ont longtemps été présentés comme des approches contradictoires de l’innovation. Nous discutons ici la contradiction apparente mais nous montrons que les DPI peuvent définir le cadre idéal pour la réalisation de projets d’innovation ouverte .

Une contradiction apparente dans les définitions.

Entre la propriété intellectuelle et l’innovation ouverte la contradiction commence avec les définitions .

Les droits de propriété intellectuelle (brevets, dessins et modèles, droits d’auteur), tels que définis par l’OMC sont “les droits conférés aux personnes sur les créations de leur esprit. Ils donnent généralement au créateur un droit exclusif sur l’utilisation de sa création pendant une certaine durée.”

Comme on le voit, la notion d’exclusivité est centrale.

B.Hall dans son étude [ 1 ] stipule que : « les DPI sont généralement conçus pour exclure les autres de l’utilisation des idées et des inventions d’une entreprise ” .

L’Innovation Ouverte d’autre part se définit ainsi: “L’innovation ouverte est un paradigme qui suppose que les entreprises peuvent et doivent utiliser des idées externes ainsi que des idées internes et les chemins internes et externes vers le marché”.  Dit autrement il s’agit “d’innover avec des partenaires en partageant les risques et les bénéfices.” [Wikipedia , citant Chesbrough].

Ici, l’accent est clairement mis sur la notion de «partage» .

Bien que «partager» ne ​​signifie pas «donner», on voit bien le grand écart qu’il y a entre les notions d’«exclusivité» et de «partage».

Et la contradiction semble s’aggraver lorsque l’on regarde les pratiques réelles dans les deux camps .

Le poids économique croissant de la propriété intellectuelle

Bien qu’il existe des groupes ayant des intérêts économiques communs ou des contraintes d’interopérabilité (Web 2.0, patent-pools sur les formats vidéo ou les télécommunications), la règle générale reste que les DPI et notamment les brevets sont considérés comme des armes de protection ou même d’attaque dans des conflits industriels .

En fait, le rôle des droits de propriété intellectuelle est devenue primordial depuis l’entrée dans l’économie de la connaissance. Dans une économie matérielle, on peut protéger ses biens dans un coffre-fort tandis que dans une économie de la connaissance les seules protections sont les secrets ou des titres de propriété intellectuelle.

Comme exemple de cette croissance, on peut citer le montant total des licences de brevets qui est passé de 50 milliards de dollars en 1994 à 200 milliards en 2008 (source OMPI et Athreye/Yang dans [7]) , cela ne tient pas compte des acquisitions comme celle Motorola Mobility par Google (12 milliards de dollars) et Nokia par Microsoft (7 milliards de dollars), qui toutes deux visent à remplir leurs portefeuilles de brevets .

patents promises

Les promesses des brevets

Nous avons tous entendu également de célèbres batailles comme les plaintes d’Apple contre Samsung qui ont fini par bloquer les ventes des smartphones Galaxy aux États-Unis en 2012.  Les blogs sur le sujet regorgent d’exemple de situations absurdes en particulier liées aux brevets logiciels ou sur le génome (voir Commodor / brevet XOR).

La protection des inventions peut en effet se transformer en pratiques excessives et douteuses .

Un article du MIT Sloan [2] résume bien ceci en disant que  “les  problèmes se produisent lorsque la protection de la propriété intellectuelle est transformée d’un moyen de capturer la valeur de l’innovation en une fin en soi” .

Quand il s’agit de bâtir de nouveaux partenariats , cette position crispée sur les DPI impose des règles strictes qui font peser une lourde armure sur les épaules des employés et ralentissent les projets. Certaines entreprises vont exiger un NDA avant toute discussion, la plupart veulent avoir un accord contractuel global avant de démarrer un projet et certaines vont tout simplement refuser les discussions avec les sociétés qui ne possèdent pas de brevets.

knight

Discutons d’un partenariat !

De grandes entreprises comme IBM et P&G ont cependant réalisé que l’agilité de l’entreprise exigeait un changement dans leurs politiques de propriété intellectuelle et ont commencé à le faire réellement à la fin des années 2000 , voir [1] .

L’agilité de l’Innovation Ouverte soulève de nouvelles questions

Dans le camp de l’Innovation Ouverte, les intervenants recommandent d’utiliser des processus légers pour mener les projets afin que l’information puisse être partagée rapidement sans barrières inutiles. Ceci est absolument nécessaire quand une entreprise envoie un appel à propositions dans l’espoir de recevoir des dizaines de réponses. Avoir un NDA avant l’échange d’information n’est  certainement pas compatible de cet objectif.

Et pourtant, suivant ces principes, des milliers de problèmes industriels sont rendus publics et encore plus de propositions de solutions sont dévoilées avec la plus minime protection d’un clic sur une page Web!

Avec une telle contradiction, on peut légitimement se poser des questions .

Les questions principales de l’entreprise sont généralement :

1 . Que va-t-il arriver à mon challenge ? Ne peut-il pas être exploité par mes concurrents à mon insu ?
2 . Comment puis-je protéger mes produits contre les imitations si je ne possède pas entièrement l’ IP ?

Les experts ou fournisseurs ont eux les questions suivantes:

3 . Comment puis-je protéger mon savoir-faire dans un processus aussi sommaire ?
4 . Suis-je affaibli sur le long terme par le partage ou la licence mes droits de propriété intellectuelle ?

Eh bien, comme vous le devinez, en tant qu’experts de l’innovation ouverte, nous avons les réponses :-) et pour vous remercier d’avoir lu jusqu’ici, je vais maintenant vous en donner un aperçu .

Les plates-formes d’innovation ouverte peuvent fournir les réponses

La première question porte sur un risque potentiel dans la divulgation d’un problème industriel, y compris à la concurrence . En effet, personne ne veut que d’autres connaissent les détails de nos problèmes, pas seulement dans les affaires .

Il est facile d’y répondre, d’une part les plates-formes d’Innovation Ouverte permettent de poser des questions de façon anonyme (quelques exemples ici) . Chez ideXlab nous avons développé un workflow qui permet de rechercher les experts et d’entrer dans des discussions et négociations anonymes jusqu’à ce que les deux parties soient d’accord pour démarrer une collaboration .

Deuxièmement, on doit se poser la question du risque réel si la question est divulguée. Dans la plupart des cas que nous avons traités, les questions posées portaient sur l’amélioration d’un produit existant (le produit et ses performances étant déjà connus, une divulgation n’est pas un gros risque); d’autres sont liées à des fonctions périphériques d’un produit dont la divulgation ne porterait pas sur le cœur de métier de la société.

La réponse à la deuxième question est un peu plus technique. Supposons que vous ayez trouvé une technologie que vous souhaitez intégrer dans votre prochain produit; il y a alors deux cas: soit la technologie est protégée par le fournisseur ou elle n’est pas. Si elle l’est par un brevet ou même seulement une preuve d’antériorité, dans le cadre de votre contrat vous demanderez un droit d’utilisation (ou licence), potentiellement exclusif, ou vous pouvez acquérir les brevets.  Le droit d’utilisation ne vous permet pas de poursuivre un contrefacteur potentiel, mais un bon avocat aura ajouté un engagement de l’inventeur de vous aider et de poursuivre les fautifs. Si vous voulez le maximum de sécurité, l’acquisition du brevet est la bonne option.

Si la technologie n’est pas protégée par le fournisseur, il est probablement trop tard pour le faire et votre accord comprendra une licence exclusive sur le savoir-faire et le secret sera la règle!

Mais avant de mettre un cadre juridique complexe en place, il faut  considérer l’avantage donné à l’entreprise qui sera la première à commercialiser ce produit ou cette fonctionnalité. Dans de nombreux cas, être le premier fait une telle différence que le risque d’être copié un an après a peu ou pas d’importance. Bien sûr, ce facteur varie considérablement en fonction du marché et des cycle de vie produit. La vitesse d’exécution est parfois la meilleure protection !

La troisième question (protection du fournisseur ) est posée très fréquemment. Sur les plates-formes d’Innovation Ouverte, les fournisseurs de solutions doivent divulguer un certain niveau d’information pour intéresser l’entreprise demandeuse sans prendre trop de risques.

Encore une fois, nous avons deux situations. Si l’invention est protégée, alors elle peut être divulguée et les DPIs peuvent-être mentionnés . Si ce n’est pas le cas, l’échange d’informations doit être effectuée avec prudence. Les intermédiaires en Innovation Ouverte seront de bon conseil pour cet exercice délicat. Chez ideXlab nous mettons l’accent sur ​​la description des caractéristiques externes des inventions, comme les performances clés, au lieu de divulguer trop de détails sur leurs mise en œuvre. Après quelques questions-réponses anonymes, lorsque le demandeur est convaincu du sérieux de la proposition, alors il peut décider de conclure un accord de confidentialité.

La réponse à la quatrième question est plus une question de conviction et de réalisme. Les licences et l’intégration de technologies tierces est une pratique naturelle dans un monde global. Les deux parties bénéficient de l’échange, l’un avec un nouveau flux de revenus, l’autre avec un cycle de mise sur marché raccourci. En pratique, les universités ont pour mission de licencier leurs inventions et les laboratoires d’entreprises privées ont couramment des département de Propriété Intellectuelle en charger trouver de nouveaux débouchés à la recherche. Toutefois la prudence peut amener à définir des domaines d’application restreints pour éviter une éventuelle concurrence dans le même secteur d’activité que l’inventeur.

Les droits de propriété intellectuelle et l’innovation ouverte sont les deux faces d’une même réalité

L’Innovation Ouverte et la propriété intellectuelle coïncident particulièrement bien lorsque les entreprises se rendent compte qu’elles doivent capitaliser sur les opportunités plutôt que seulement sur ​​leur propriété.

Les réponses exactes aux préoccupations des acteurs dépendent de plusieurs points: la nature du projet d’innovation ouverte, la situation de l’entreprise demandeuse sur les DPI, la nature du produit final et du marché, et sur ​​la situation du fournisseur de technologie.

Ainsi, la société demandeuse doit se poser les questions suivantes:

– Suis-je à la recherche d’une technologie cœur de métier ou d’améliorations ou de fonctions périphériques ?
– Quelle est la valeur ajoutée de la technologie pour mon produit et l’entreprise?
– Le fournisseur peut rivaliser avec moi sur mon marché à un moment donné ?
– La rapidité de mise sur le marché est-elle plus importante que la protection à long terme du produit ?

Selon les réponses à ces questions, il y est possible de définir un cadre de gestion de la propriété intellectuelle qui permettra de monter un projet avec succès, comme décrit ci-dessous.

IPR options

Exemple d’options d’une entreprise en matière de DPI (source ideXlab)

Cet article est l’un de notre série sur à la pratique de l’innovation ouverte , nous espérons que vous l’avez apprécié.

Références

[1] Open Innovation and Intellectual Property Rights – The Two-edged Sword
https://eml.berkeley.edu/~bhhall/papers/BHH09_IPR_openinnovation.pdf

[2] Does IP Strategy Have to Cripple Open Innovation? https://sloanreview.mit.edu/article/does-ip-strategy-have-to-cripple-open-innovation/

[3] Scenarios for the Future https://www.marcasepatentes.pt/files/collections/pt_PT/1/178/EPO%20Scenarios%20For%20The%20Future.pdf

[4] How intellectual property enables and protects Open Innovation https://www.forbes.com/sites/benkerschberg/2012/04/23/how-intellectual-property-ip-enables-and-protects-open-innovation-platforms/

[5] A practical guide to managing intellectual property rights in an open innovation context https://six6.region-stuttgart.de/sixcms/media.php/1181/Opinet_IPR_Guide.pdf

[6] XOR patent case https://www.google.fr/search?q=CadTrack+xor+patent

[7] Athreye and Yang 2011, Desambodied knowledge flow in the world economy  https://www.wipo.int/export/sites/www/econ_stat/en/economics/pdf/wp3.pdf


You may also like

2 Comments
  1. […] L’innovation ouverte et les DPI : contradiction ou complémentarité ? L’innovation ouverte et la gestion des droits de propriété intellectuelle ont longtemps été présentés comme des approches contradictoires de l’innovation. Nous discutons ici la contradiction apparente mais nous montrons que les DPI peuvent définir le cadre idéal pour la réalisation de projets d’innovation ouverte . …  […]

  2. […] 'L’innovation ouverte et la gestion des droits de propriété intellectuelle ont longtemps été présentés comme des approches contradictoires de l’innovation. Nous discutons ici la contradiction apparente mais nous montrons que les DPI peuvent définir le cadre idéal pour la réalisation de projets d’innovation ouverte…''  […]

Leave a reply